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MON ÂME

Mon âme est une allée au seuil d'un bois s'ouvrant

Ou qui, sous les tilleuls, s'enfonce avec mystère...

Mon âme offre un peu d'ombre au va-nu-pieds errant,

Mon âme ouvre sa robe au passant solitaire.

Mon âme est la poitrine où palpite un cœur lourd,

L'éteule où le glaneur lie une gerbe énorme,

La faneuse épousée en des regains d'amour

Par quelque pâtre obscur qui flûte au pied d'un orme.

Mon âme est un verger où l'odeur des fruits mûrs

Alourdit l'air grisant qui flâne dans la brise,

Si bien que la maraude ose en franchir les murs

Pour mordre aux fruits juteux dont le parfum nous grise.

Or, c'est pourquoi je t'aime, Ô vague Humanité

Palpitante et multiple en mon cœur sans mesures :

Mon âme est toute entière en cette volupté

Qui sourit ton sourire et saigne en tes blessures.

Léon Tonnelier, La flûte d'ébène     

SOLITUDE D'ÂME

Quelle est la route à suivre, Ô femme, dis-le moi ?

Je ne suis qu'un enfant très faible et dont l'émoi

               Augmente en la nuit sombre,

Porte-moi dans ta robe ou prends-moi par la main !

D'être seul je frissonne au milieu du chemin

               Tant j'ai peur de mon ombre !

Suivrons-nous cette sente où tombe, des rameaux,

L'incessant crépuscule endormeur de nos maux ?

               Suivrons-nous cette sente ?

Trop lointaine est encore l'auberge où nous allons.

Je suis las, l'heure est brève et les chemins sont longs,

               Et la ronce est blessante.

Je me suis attardé. Quand le soir est venu

Je me suis senti seul sur le grand chemin nu,

               Seul sur la route obscure.

La ronce impitoyable a mis mon cœur en sang

Et dans la solitude, hélas ! Aucun passant

               N'a lavé ma blessure.

Trop lointaine est encor l'auberge où nous allons.

Je suis las, l'heure est brève et les chemins sont longs

               Qu'on prend dans la nuit sombre.

Si tu veux que je suive avec toi ce chemin,

Porte-moi dans ta robe ou prends-moi par la main !

               Car j'ai peur de mon ombre !

Léon Tonnelier           

ENFANT

Baiser fait chair ! Doux fruit qu'Amour

          Porte à ses lèvres merveilles !

L'enfant est l'aube d'un beau jour !

           Oh ! Merveille des merveilles !

Son cri d'oiseau frêle est moins lourd

          Qu'un chant de source aux oreilles,

Semble même au cœur le plus sourd

          Le rouet d'or des abeilles !

Front pur, corps d'ange, yeux étonnés,

          Bouche exquise, tout petit nez,

Pieds mignons, menottes fraîches...

Etreignant une pomme d'or,

          Le bambino joue et s'endort

Tel le blond Jésus de la crèche !

Léon Tonnelier                    

Agenda des Magasins Réunis 1928          

STANCES DU DIVIN PAUVRE

Poète au cœur éteint, urne pleine de cendre,

Garde le souvenir des feux dont tu brûlais.

Le soir monte - et tu dis que la nuit va descendre :

Seul, le soleil descend et croulent les palais.

La lumière d'argile et de paille battues,

Où le pauvre pêcheur accroche ses filets,

Et l'humble potager riche en cœurs de laitue

Comptent des jours nombreux avec de blancs galets.

Il suffit d'une pierre où reposer sa tête

Et d'un chant d'alouette au fond du ciel léger

Pour que Dieu se conjugue aux lèvres du poète :

Homère est sans foyer ! Et Virgile un berger !

Léon Tonnelier                 

Agenda des Magasins Réunis  1928       

A BEAUCOUP...

Artistes innommés, cœurs épris d'impossible, 

Vous dont le désir tente où n'atteint pas l'effort,

Vous qui tordez vos bras vers l'Amante invisible,

Et ne l'étreignant point ne l'aimez que plus fort,

Artistes, je salue en vous une parcelle

Du génie incarné qui vit esclave en nous -

Muse, gloire à ceux-là qui savent l'étincelle

Et tombent épuisés d'amour à tes genoux ;

Prêtres obscurs d'un temple où nul ne se recueille

Ils ont du moins l'orgueil d'être épris du flambeau,

Et si leur geste est vain vers le laurier qu'on cueille,

Il est par trop ému pour ne pas être beau.

Leur geste est trop ému pour n'être pas sincère,

Je t'ai dit leur amour, Muse au culte immortel,

Et si mon cœur d'apôtre infiniment se serre,

C'est d'avoir tu leur nom au pied de ton autel.

Léon Tonnelier     

Poèmes retrouvés     

(Hommage à tous les créateurs de l'Ecole de Nancy)    

LA GERBE

Prendre un peu de ton âme, en faire un lys superbe,

Un lys baigné d'aurore, un grand lys grelottant !   

En faire un autre, un autre, un autre encore, et tant

Qu'il faille un arc-en-ciel pour en lier la gerbe...

Prendre un peu de notre être en un baiser superbe,

En faire un être exquis, mignon, rose, éclatant !

En faire un autre, un autre, un autre encore, - et tant

Que nos bras enlacés en lieraient mal la gerbe...

Se survivre, innombrable, en maint couple superbe

Dont le geste d'amour éternise l'instant,

Etre deux et finir par être tant et tant

Qu'on ne saurait mourir tant que vivra la gerbe !

Léon Tonnelier           

MATINEE DE JUIN

Le petit jour, craintif comme un lapin des champs,

Se mouille à la rosée au milieu des avoines.

Entre l'aube et l'aurore, effeuillant des pivoines,

L'Est ravive la joie éteinte des couchants.

Des saules rabougris, pareils à de gros moines,

Le long d'un clair ruisseau s'en vont, lourds et penchants.

L'alouette en plein ciel est le plus vif des chants

Et Juin ouvre le cœur des roses aux cétoines.

Le jour épanoui disperse peu à peu

De flottantes vapeurs, des lambeaux de nuages,

Et l'angélus d'or tinte aux clochers des villages.

Heures des reposoirs, matin des Fêtes-Dieu !

Aux murs ensoleillés se fanent des feuillages,

Et les grillons stridents sont un hymne de feu !

Léon Tonnelier                    

Agenda des Magasins Réunis 1928          

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